La ressource hydrique

«L’eau, de par sa double nature, essentielle à la vie et fortement symbolique, est toujours politique. Quelles que soient les options choisies par les gouvernants, ils gardent toujours sur l’eau la haute main.» (Erik Orsenna) 

Les crises de l’eau sont le plus souvent et avant tout des crises de gouvernance qui cristallisent les difficultés des communautés humaines, à toutes échelles, à coordonner leurs usages et à mettre en adéquation leurs besoins et la ressource disponible. Il est vrai que la bonne gestion de l’eau et la capacité à la gouverner durablement ont toujours représentés des critères forts pour évaluer l’aptitude d’une société à survivre en tant que collectif.

C’est aussi dans le domaine de l’eau que des solutions particulièrement innovantes ont été trouvées pour coordonner les comportements humains et se doter parfois des toutes premières institutions politiques à même de gérer cette ressource en commun. On peut citer les communautés d’irrigation dédiées depuis plusieurs centaines d’années à la gestion des infrastructures de distribution et à la juste répartition de l’eau. La ressource en eau suscite des interdépendances fortes entre les hommes, les communes et les États. Son exploitation génère de profondes rivalités d’usages et, ce faisant, des risques récurrents de surexploitation.

Le changement climatique complexifie cette situation en renforçant la notion de rareté et en induisant de profondes incertitudes sur l’anticipation de la disponibilité, mais également sur la future demande en eau. Si l’on ajoute l’extrême diversification et reconnaissance des usages au fil du temps (que cela soit pour la boisson, l’irrigation, la production d’énergie, l’enneigement mais aussi et surtout la préservation des écosystèmes), l’eau devient un bien de plus en plus difficile à gouverner. La dimension géopolitique de la ressource en eau se manifeste à la fois dans les emboîtements sectoriels et dans les emboîtements entre différentes échelles allant du local au global.

Ces défis majeurs de la gestion de l’eau concernent une multitude de contextes politiques et hydrologiques. La problématique hydrique n’est plus l’apanage de régions réputées arides, mais de toutes les régions du monde qui doivent transformer leurs processus de gouvernance. La Suisse, souvent reconnue comme le château d’eau de l’Europe, n’est pas exempte de ces difficultés. La transition d’une vision de la ressource comme rivale et convoitée vers une approche de l’eau comme vecteur de coopération constitue un objectif louable. Cette transition nécessitera toutefois d’innover encore en ce qui concerne les questions de gouvernance.

Géraldine Pflieger et Christian Bréthaut, Chaire UNESCO en hydropolitiques, Université de Genève

Illustration: Film Sud eau Nord déplacer d’Antoine Boutet